Techniciens spécialisés, middle management et main-d'oeuvre non qualifiée, les entreprises ont besoin de tout. Le débauchage est devenu une pratique courante dans la région, en particulier chez les équipementiers automobile. Les cadres peuvent gagner 30 à 50% de plus que la moyenne nationale dans leur spécialité.
Le lancement à Tanger de la méga-usine de Renault place le Nord-Ouest parmi les gros pourvoyeurs d’emplois du pays. Durant les 10 dernières années, le nombre de postes créés dans les différentes activités industrielles s’élève à plus de 250 000, dont 70% sont composés de main-d’œuvre non qualifiée. Et rien que dans Tanger Free Zone, deuxième plateforme industrielle du Royaume, 40 000 recrutements ont été effectués entre 2001 et 2010, soit une moyenne de 5 000 par an, tandis que la zone industrielle de Gzenaya et celle de Moghougha ont embauché respectivement 12 000 et 20 000 personnes. Dans l’usine de Renault, 2 500 employés font déjà tourner les machines du constructeur en attendant les 3 500 autres personnes qui les rejoindront dans les semaines à venir.
Cette tendance va s’accentuer dans les années à venir puisque le projet du groupe français ainsi que d’autres investissements prévus dans la région feront appel à des milliers d’emplois. Précisément, l’usine de Renault générera 30 000 emplois, entre autres chez la douzaine d’équipementiers qui lui fournissent des pièces détachées.
De même, Tanger Shore, version tangéroise de l’offshoring, attire de plus en plus d’entreprises hispanophones telles Atento, filiale de Telefonica, en raison de la proximité géographique et culturelle avec le marché espagnol.
«Cette concentration a engendré une croissance brutale de l’emploi industriel, notamment dans le secteur automobile, alors que l’offre d’emploi reste limitée», signale Zhor Chahir, présidente de l’Association des gestionnaires et formateurs du personnel Chamal (Agef Nord) et DRH à Automotive Wiring Systems Morocco. Le déficit en main-d’œuvre est estimé par cette association à 50 000 personnes uniquement pour les deux prochaines années. Il est ressenti essentiellement dans le domaine de l’automobile mais aussi dans d’autres secteurs d’activité tels le BTP, l’aéronautique, l’outsourcing… et il concerne toutes les composantes de la main-d’œuvre. Par catégorie socioprofessionnelle, les besoins portent sur 40 000 ouvriers non qualifiés, 2 000 cadres, 4 000 techniciens spécialisés et autant de middle management. Zhor Chahir cite particulièrement «les techniciens spécialisés, les titulaires d’un diplôme équivalent au Bac+2 ayant reçu une expérience dans les usines, les qualiticiens, les électromécaniciens, les roboticiens, les mécaniciens et les électriciens».
Cette situation est d’autant inquiétante que le système des établissements de formation n’est pas adapté à la demande des industriels. «C’est surtout la qualité de formation qui fait défaut, du coup on est obligé de former le personnel, soit en interne, soit en recourant à des organismes externes», confie le responsable RH d’un équipementier. Le déficit n’épargne pas non plus les cadres. Cette catégorie est déjà rare, à en croire les responsables de l’Agef.
Kénitra commence à faire la concurrence au Nord
Basés surtout à Casablanca, qui abrite 60% de l’industrie marocaine, les cadres rechignent à se déplacer pour occuper des postes au Nord et notamment à Tanger. Et s’ils consentent à y travailler, c’est au prix de rémunérations intéressantes, largement supérieures à la moyenne nationale. «Ils ont souvent une expérience d’au moins cinq ans, ils ont donc entre 30 et 35 ans, et à cet âge ils sont forcément mariés et parents et sont fort probablement engagés dans des crédits immobiliers dans les environs de Casablanca. Pour les attirer, il faut leur proposer 30 à 50% plus élevé», explique la présidente de l’Agef Chamal.
Les employeurs sont confrontés à un autre problème : le débauchage des techniciens spécialisés. En raison du déficit, les industriels n’hésitent pas à recruter chez les concurrents. Cette pratique est devenue fréquente notamment chez les équipementiers automobiles qui, pour faire face à la pression de leur client Renault, «n’ont plus le temps pour engager des débutants et entamer des cycles de formations», s’indigne un dirigeant d’une société de céramique.
Il y a un autre phénomène qui risque de compliquer davantage cette situation. La cherté de la vie à Tanger. Dans cette région, «80% de la main-d’oeuvre non qualifiée n’est pas originaire de la ville, c’est pourquoi la plupart préfère rentrer dans leur région d’origine au bout de quelques années», précise Mme Chahir. L’implantation de nouveaux pôles industriels comme celui de Kénitra accentue aussi la migration. Ce qui pénalise doublement les industriels de Tanger qui ont perdu des employés qualifiés pour lesquels «ils ont consenti d’importants investissements, notamment dans la formation», disent-ils.
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