En plein printemps arabe, le HCP a interrogé 5 000 jeunes. Il vient de dévoiler les résultats de son étude. 54% des 18-45 ans vivent encore chez leur famille, beaucoup ne pensent pas au mariage faute de moyens financiers.
La dernière enquête nationale du Haut Commissariat au Plan (HCP) vient réaffirmer un constat inquiétant, révélé par d’autres études auparavant : la jeunesse marocaine doute de son présent, et appréhende l’avenir, elle n’a pas de repères et ne s’identifie à aucune personnalité. Le chômage sévit parmi ces jeunes et le célibat est très répandu. Faute de moyens, des centaines de milliers, mariés ou pas, continuent de vivre avec leur famille. D’ailleurs la famille et l’attachement à la patrie, révèle l’enquête, restent culturellement une référence ancrée devançant le facteur religieux. Les jeunes marocains se détournent magistralement de la politique et ne s’intéressent que dérisoirement à la chose publique, bien qu’ils aient une appréciation positive de l’évolution démocratique du pays ces dix dernières années. Ces jeunes, du moins une partie d’eux, fument, boivent de l’alcool et se droguent. Leur principale priorité : l’emploi et l’égalité des chances. Leur principal souci d’avenir : la cherté de la vie et le chômage.
Ce sont là les principaux résultats de l’enquête du HCP, annoncés le 1er juin, et qui donne des renseignements précieux sur cette catégorie sociale dans un Maroc qui se construit tant bien que mal, qui connaît depuis 10 ans un taux de croissance annuel moyen avoisinant les 5%, mais qui garde dans son flanc l’épine d’une jeunesse désorientée. La collecte des données sur le terrain dans cette enquête a touché 5 000 jeunes, elle s’est déroulée du 21 mars au 5 avril 2011, autant dire en plein printemps arabe et manifestations dumouvement du 20 Février marocain, et seulement deux semaines après le discours du Roi Mohammed VI annonçant la réforme de la Constitution. Le choix de cette période n’est certainement pas dû au hasard : on voulait tâter le pouls d’une jeunesse qui, au Maroc et à l’échelle arabe, est sortie de son mutisme pour réclamer des réformes profondes touchant le mode de gouvernance, une équitable répartition des richesses, l’égalité des chances et une vraie démocratisation du pays.
Il n’est pas dû au hasard aussi, et c’est une première au Maroc, le fait que la Constitution de juillet 2011 consacre tout un article à la jeunesse marocaine, ce qui reflète les inquiétudes des pouvoirs publics à son égard. L’article 33 exhorte, en l’occurrence, ces derniers à prendre toutes les mesures appropriées en vue de «généraliser la participation de la jeunesse au développement social, économique, culturel et politique du pays, aider les jeunes à s’insérer dans la vie active et associative et prêter assistance à ceux en difficulté d’adaptation scolaire, sociale ou professionnelle. Faciliter l’accès des jeunes à la culture, à la science, à la technologie, à l’art, au sport et aux loisirs, tout en créant les conditions propices au plein déploiement de leur potentiel créatif et innovant dans tous ces domaines». Il a même été créé, en vertu de la nouvelle Constitution, un «Conseil consultatif de la jeunesse et de l’action associative».
13,9 millions de Marocains ont entre 18 et 45 ans
Maintenant que révèle de significatif cette dernière enquête nationale ? Commençons par l’emploi, la grande hantise des jeunes : 12% souffrent de chômage, qui frappe plus les citadins (17%) que les ruraux (5%), la tranche d’âge 18-24 ans (18%) que celle de 35-45 ans (5,5%). Et les femmes en souffrent plus que les hommes, si l’on analyse l’emploi en taux d’activité : situé à 56%, il est plus élevé chez les hommes (86%) que chez les femmes (28,5%). L’enquête de la Banque mondiale, elle, est plus alarmiste : elle situe le taux de chômage chez les jeunes à 30%. Or, selon elle, les potentialités économiques dans le pays ne manquent pas, et «la jeunesse pourrait être un moteur de croissance et de développement économique au Maroc, mais elle ne l’est pas». Les jeunes chômeurs de l’enquête du HCP ont-ils jamais travaillé ? Elle ne le précise pas, mais toutes les enquêtes sur les jeunes au Maroc, et le Rapport du cinquantenaire le soulignent avec force : la majorité des jeunes chômeurs n’ont jamais travaillé, car «l’obstacle majeur consiste à trouver un premier emploi». Et ce rapport d’ajouter que sur le plan sociologique, la frustration est d’autant plus importante que ceux qui vivent des inégalités sociales ont les moyens intellectuels d’en être conscients et de les exprimer : «Pour la première fois au Maroc, des jeunes expriment de façon organisée et continue leurs frustrations quant à la recherche d’un emploi».
Le résultat de ce chômage, conclut l’enquête du HCP, est le manque de resources et de revenus chez 67% des 18-24 ans. Sur ce plan, ce qui est compréhensible, la catégorie âgée de 35-44 ans est mieux lotie avec 40% seulement qui disent souffrir d’un manque de ressources. Conséquence : une dépendance plus ou moins accentuée à l’égard de la famille : plus de la moitié des jeunes (54%) vivent au sein du foyer parental, surtout chez les jeunes de 18 à 25 ans (81%) que chez leurs aînés de 35-44 ans (25%). Loger au sein du foyer familial n’épargne ni les célibataires (81%), ni les mariés (16%), ni les divorcés et les veufs (3%). Loger chez les parents, révèle l’enquête du HCP, n’est pas synonyme de frictions avec ces derniers : seuls 9% de ces jeunes déclarent avoir des difficultés, et donc la majorité se dit bien insérée familialement. Ce constat est vérifié dans le Rapport du cinquantenaire. La famille, affirment les sociologues, «est pour les jeunes un rempart contre les crises matérielles et une sécurité dans une conjoncture où la tendance à la nucléarisation de la cellule familiale s’estompe devant les obstacles objectifs qui entravent la constitution de foyers autonomes, consécutifs notamment au retard pris par les jeunes dans l’accès à une vie active».
Un jeune sur deux ne pense pas au mariage… faute de moyens
C’est l’emploi qui gouverne tout : pas de travail, pas de source de revenus ; pas d’indépendance familiale, pas de mariage. 42% des jeunes enquêtés déclarent ne pas penser au mariage : un homme sur deux et une fille sur trois sont dans ce cas.
Les jeunes femmes sont donc moins désespérées que les jeunes hommes quant au rêve de fonder un jour un foyer. Bien évidemment, les raisons évoquées sont liées pour la plupart aux moyens financiers (38%), à l’âge (35%, dont 40% des hommes contre 24% des femmes), au destin (16%, dont 41% des filles et 4% des hommes). Plus que l’âge, plus que le destin, l’emploi est une condition majeure pour le mariage, et ces deux derniers «sont deux conditions majeures pour l’accès au statut d’adulte», analysent les sociologues ayant travaillé sur les jeunes. S’il est difficile pour les jeunes de trouver un emploi, l’enquête du HCP révèle, quand même, que la majorité des jeunes croit en l’égalité des chances entre les deux sexes en matière d’emploi, chez les femmes plus que chez les hommes (74% contre 60%). Néanmoins (constat connu) : seuls 60,5% croient en l’égalité entre sexe en matière d’accès aux postes de responsabilité.
Les choses les plus importantes pour les jeunes enquêtés ? Non seulement peu des 5000 jeunes, objet de l’enquête du HCP, n’ont pas d’atomes crochus avec la politique (1% seulement adhère à un parti politique), mais «quand on leur demande de citer une valeur ou une personnalité à laquelle ils s’identifient, 63% déclarent ne pas en avoir». Or, s’identifier à une valeur, à une personnalité, c’est nourrir un espoir, se tracer un chemin, embrasser un idéal. La minorité restante n’est pas si perdue : elle s’identifie au moins à des personnalités ou à des valeurs : certaines relèvent du domaine religieux (25%), d’autres de l’art (25%) ou du sport (23%).
Mais les jeunes du Maroc, malgré une frustration due au manque d’emploi, un désintérêt à l’égard de la politique, (et certains d’eux boivent de l’alcool et se droguent), ils manifestent un amour sans faille pour la patrie et la famille, après vient la religion comme référence. Et ces jeunes manifestent une appréciation plutôt positive de l’évolution du niveau de vie ces dix dernières années (45%, dont 49% des 18-24 ans contre 43% des 35-44 ans), mais 32% y voient une stabilité qu’une plutôt amélioration.
Une remarque concernant la méthodologie de l’enquête du HCP, que ses auteurs justifient d’ailleurs à leur manière : l’échantillon des 5 000 sondés ne touche pas la jeunesse stricto sensu, puisque l’âge des enquêtés commence à 18 ans, ce qui se comprend, et s’étend jusqu’à 45 ans, ce qui se comprend moins. Un quadragénaire est-il vraiment un jeune ? A-t-il la même vision et les mêmes préoccupations qu’un jeune dont l’âge si situe entre 18 et 25 ans ?
Il n’y a effectivement pas de définition universellement admise en termes d’âge, et l’enquête le souligne, mais l’ont retient par expérience, pour effectuer des enquêtes et des études sur les jeunes, un âge ne dépassant pas la trentaine, avec une tranche supérieure généralement limitée à 35 ans maximum. Réalisée par la Banque Mondiale (BM) quelque temps avant les événements du printemps arabe, une enquête sur les jeunes au Maroc (dont les résultats ont été annoncés le 14 mai dernier), ayant porté sur un total de 2 883 personnes, avait touché une tranche d’âge allant de 15 à 29 ans. Dans une autre étude sur les jeunes réalisée en 2 000 («Les jeunes et les valeurs religieuses». Ed. Eddif, 2000), Rahma Bourqia, Mohamed El Ayadi, Mokhtar El Harras et Hassan Rachik considèrent que la tranche d’âge généralement retenue pour la qualification d’un jeune est entre 18 et 35 ans. En plus, ces jeunes au Maroc, disent-ils, «ne constituent pas une catégorie socialement homogène.
Des différences de classes sociales, de milieu spatial et de genre traversent la catégorie des jeunes». Ahmed Lahlimi, Haut commissaire au Plan, lui, explique le choix de la tranche 18-45 ans par le fait que l’espérance de vie des Marocains a sensiblement augmenté. De 47 ans en 1962 elle est passée à 74,8 en 2010, et cela donnerait «un espace plus large à la notion de jeunesse», déduit-il. Il avance une autre raison : le choix de cette tranche d’âge permettra de comparer les comportements et les divergences entre deux générations : celle de la période de l’ajustement structurel et celle de l’ouverture économique et démocratique. Un troisième argument : en volume, cette tranche de la population, qui est passée de près 7,3 millions en 1982, à 13,9 millions en 2010 (évoluant au rythme annuel moyen de 2,3%), est importante dans la population totale pour qu’elle soit l’objet de cette enquête.
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